Paris, métro ligne 1, 18h30, station Charles de Gaulle - Etoile, attention à la marche en descendant du train. Ça me reprend, je regarde autour de moi et je ressens cette impression oppressante. Non, non, pas parce qu'on fait tous la gueule, ça c'est le fond de sauce déjà évoqué
ici. Ni à cause de la foule, malgré ma démophobie aiguë (au passage, la phobie de la foule n'est pas l'agoraphobie, qui concerne les grands espaces. Je me sens très à l'aise au milieu du Sahara). Je prends peur en réalisant à quel point nous portons tous les mêmes oripeaux, stigmates d'une société anesthésiée par le sucre diabétisant d'un confort ajusté. On se ressemble tous, c'est affligeant. On se regarde, on se toise du chèche, l'air de dire, "merde on a le même, j'espérais me démarquer et me fondre en même temps, tu m'empêches de faire mon petit effet, je descends à la prochaine...". Le thème des robots du métro, il n'est pas nouveau, ce n'est pas mon propos, j'enlève mon manteau entre Argentine et Porte Maillot.
C'est le trench. C'est ça, c'est à cause du trench en fait. Vous savez, ce trench classique, trois-quarts, qui n'est pas vilain mais qui est très, trop à la mode cette année. J'ai le mien, vous pensez ! On a tous le même, surtout. Le trench encore, ça va, même si l'imper a tort. Le pire je crois, c'est le casque Beats by Dr Dre. Séguéla, c'est la Rolex, le cadre moyen, c'est le Beats. T'as pas ton Dre dans le métro, t'es un prolo. Double détente, dans le métro y'a pas que des cadres, mais y'a que des gens avec des casques. Dis-moi la marque du tien, je te dirai qui tu es. Peu importe d'ailleurs, du moment qu'il te sert de prétexte pour te couper du monde, parfait instrument d'auto-conditionnement qu'il est. Et ainsi de suite, des pieds du voisin aux talons de la voisine. Quant au week-end, il laisse place aux hoodies de toutes sortes assortis aux RC400 multicolores, nous voilà perroquets urbains.
Est-ce par paresse, par manque de temps, par mimétisme social ? Est-ce par peur de l'être que nous devenons de risibles copiés/collés ? Ou parce que derrière l'illusion du choix, il n'y en a aucun ?
It's all too much chantait Joe Jackson en 1991. L'habit
ne fait pas le moine paraît-il. Mais à n'en pas douter, il fait le
monastère. Entre uniforme et uniformité, il n'y a que quelques lambeaux que tisse la matrice de la mode. Elle est vieille comme l'humanité, elle est affaire de culture, c'est
un fait. Et ce n'est pas moi qui cracherai dessus ! Mais comme à peu près tout le reste, elle subit l'accélération
consumériste qui en démultiplie le braquet. Les pollens (peaux, laines) d'Abercrombie & Fitch ont essaimé partout et font de nous des organismes gustativement modifiés... Et heureux de l'être. Pour faire taire le critère budgétaire, Zara est arrivé.
Wall-E, qui dépasse largement le cadre du dessin animé pour enfants,
figure les humains en êtres grassouillets, incapables de se mouvoir sans
assistance, les yeux rivés sur leur écran, cliquant selon les
suggestions d'une voix-off qui leur dicte la mode, cette année, c'est le
rouge. Celui qui me dit que c'est pas nous, je lui offre un labrador.
Comble de l'ironie, la matrice rattrape ceux qui réagissent en voulant se démarquer. Rusée, elle a déjà prévu leur accoutrement sur l'échiquier des codes. Quelques fripes, des baskets, un foulard dans les cheveux pour faire bohème et le tour est joué, je suis déguisé en "j'emmerde les bourgeois !" et ZAZ est mon icône. Que serait Guignol sans Gnafron ?
Comment être soi-même alors, sur quelques centimètres carrés de
schmattes ? Comment réussir cet exercice de funambulisme sur un fil de coton ? S'écouter quand tant de voix-off tentent de prendre la main sur notre libre-arbitre, de nous formater jusque dans le moindre recoin de notre
BIOS textile ? La réponse est peut-être dans la sobriété, celle des saltimbanques qui s'habillent de noir pour nous concentrer sur l'essentiel. Le blanc c'est moins efficace. Avec une chemise blanche comme unique tenue je ferais sans doute penser à Bernard-Henri Lévy bien avant d'évoquer Gandhi, même si je suis certain qu'elle serait fabriquée en Inde.