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samedi 8 juin 2013

Défense immunitaire

Pour qui ne connaît pas le quartier d'affaires de La Défense, il convient de fournir un guide, voire un petit kit de survie, le mot n'est pas trop fort. J'ai déjà parlé ici du Manimal qui est en nous. La Défense, c'est un peu comme aller à la rencontre des animaux en liberté dans les réserves zoologiques d'Afrique du Sud. Sauf qu'en Afrique, les animaux, ils ne sont plus vraiment sauvages. Sur les 65,8 millions d'habitants que compte l'Hexagone, 250.000 fréquentent quotidiennement cette Mecque du stress. Ce qui suit s'adresse, à travers quelques points de repère, aux 65.550.000 personnes qui pourraient s'égarer dans ses 14 km² (Monaco : 2 km² ; Vatican : 0,44 km²).

Le serpent
La Défense est desservie par un immense ver de terre tentaculaire. Son nom local est le ver de RER. Ce lombric malodorant ingurgite et recrache chaque jour 100.000 personnes contorsionnées. A La Défense, ce qui risque de vous écraser, ce n'est donc pas une voiture, mais un piéton. Enfin je veux dire, un troupeau de golems lancés comme des gnous, profitant de l'effet de masse pour ne surtout pas modifier l'axe de leur course. Ce flux ininterrompu de bovins est effrayant. Il prolonge le ver en un serpent géant, sombre, un serpent qui ne rampe pas, qui martèle la dalle d'un bruit sourd de pas résignés. Le serpent a un sens, une queue et une tête qui n'en démord pas. Ne cherchez pas à vous interposer. Si vous avez le malheur de vous trouver à contre-sens, il ne fera qu'une bouchée de vous, et vous vous retrouverez tel le pauvre saumon d'Alaska qui remonte le courant en se faisant gifler par l'écume (dans les deux cas il s'agit de frayer). Bousculer n'est pas malpoli à La Défense. C'est un signe de reconnaissance. C'est l'écume des lourds.  Si à 50 ans tu n'as jamais bousculé à La Défense, c'est que tu as raté ta vie de cadre moyen. Vous direz sans doute que je radote, mais la lâcheté grégaire, vraiment, je ne peux pas.

Vers le haut
Après avoir franchi ce barrage sans barrière, vous arriverez dans le hall de la tour Truc. Un air de reviens-y, la même queue que celle du RER, que celle du télésiège des Menuires, que celle d'hier et que celle de demain, pour franchir les portillons badgés qui crépitent comme des caisses de Monoprix. Voilà, vous y êtes presque mais pas encore tout à fait, c'est le moment de s’agglutiner devant l'ascenseur. Parce qu'en France, faire la queue c'est un peu comme être riche : c'est la teuhon.

Les quatre-vingt dix secondes qui restent avant d'atteindre votre étage sont délicieusement intimes. Vous allez vous engouffrer dans la cabine devenue pour l'occasion un salon de test pour toutes les versions de Nivea/Narta/Obao/Sanex anti-transpirants dont vous constaterez l'inefficacité sauf pour diffuser cette odeur acre et insupportable qui est la même depuis 30 ans parce qu'elle ne coûte pas cher à produire. C'est aussi l'un des rares moments où l'espace devient sonore. Voici un petit lexique pour interpréter les borborygmes que vous entendrez peut-être.


Son émis
Signification
‘Jour ou ‘bjour
Bonjour
‘Ci 
Merci
‘Voir 
Au revoir
‘Hmmm-né 
Bonne journée
‘Don’ 
Pardon


A ce stade de votre périple, vous serez heureux de rencontrer ce fameux blaireau, celui qui arrive en courant lorsque les portes de l'ascenseur se ferment enfin et que personne n'a cru bon d'appuyer sur le bouton qui les ouvre. Non content de tasser tout le monde et de marcher sur vos chaussures, il déclenche la procédure de sécurité, les portes coulissent maintenant au ralenti, sauf si un deuxième blaireau, tel une lame Wilkinson, vient terminer le travail du premier. Naturellement, il ajoutera une escale en s'arrêtant à un étage inférieur au vôtre, histoire de faire chier jusqu'au bout.

Les ventres : ô rage, odieux restaurants !
Vient le moment de se restaurer, verbe qui paraît usurpé à La Défense tant les sustenteurs professionnels affichent l'arrogance d'un phare d'Audi dans le rétroviseur d'un Scenic. Une clientèle captive qui se bouscule pour avaler des mauvais plats très chers très vite, ça peut faire tourner la tête autant que les assiettes. Je range les tauliers esplanadins dans la même catégorie que les garagistes et les taxis. Sauf un, mon ami Philippe, qui est devenu mon ami parce qu'il n'a jamais cédé à la facilité de laisser ses instincts les plus bas conduire son établissement. Il passe pour un ovni dans cet univers indigeste. Sinon, vous avez l'option cantine. Au menu, vous pourrez écouter vos collègues se plaindre (appuyez sur 1), refaire le monde et la stratégie de l'entreprise (appuyez sur 2), dire du mal d'un collègue (appuyez sur 3). Que de repas légers, en somme.

Le soir
Idem Vers le haut, mais en sens inverse.

Les clopards aux portes
Devant l'entrée des tours, ils font mieux que des videurs musclés. Ils ont le regard triste, comme des détenus autorisés à la promenade dans une prison de volutes, passage obligé pour accéder à la prison de verre. Le nuage puant qu'ils fabriquent vous donne envie de vomir et de tourner les talons.  Si ce n'était pas pour cette réunion de closing où vous espérez faire signer M. de Mesmaeker, vous partiriez en courant, juste après leur avoir vidé votre vessie sur leur paquet.

The bureau afterlife
En fin de journée, telles la faune de la savane, des cohortes de cadres à la cravate desserrée débarquent bruyamment dans les bars pour le pot d'untel, pas de pot. Ils viennent se bourrer de chips à la bière, chanter les rêves qui les hantent au large de l'esplanade, et roter leurs histoires de bureau peuplées de chefs de projets qui bandent aux néons rances. Et ça sent la promue jusque dans le cœur des timesheets que leurs grosses mains invitent à revenir en plus...

Défense de sortir
Moralité : à La Défense, il y a les quatre temps. Le temps du stress en auto, le temps du stress en métro, le temps du stress au bureau, le temps du stress au resto. La vision qui donna naissance à La Défense en 1958 était légitime dans le contexte de l'époque. Elle a juste oublié d'anticiper le phénomène de saturation qui fait de cette ville l'enfer de l'ouest. A cheval sur trois communes, intercalée entre un ghetto de riches et des ghettos de zivas, elle est devenue le plus grand ghetto de cadres d'Europe. Entasser un maximum de personnes dans un minimum d'espace, ça me rappelle quelque chose. Le travail rend libre, vraiment ?

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