Bienvenue sur Alexagère

Opinions tranchées, points de vue partiaux, caricatures iconoclastes, analyses simplistes, expressions à l'emporte-pièce, conclusions hâtives...
Des avis sur tout mais surtout des avis. Taquin mais pas moqueur, écorché mais pas donneur de leçon, provocateur... De rires je l'espère.
Retrouvez-moi sur Facebook

mercredi 25 septembre 2013

Mémoire de Reine

Il est des personnes qui, au détour d’un couloir, d’une phrase de rien du tout, vous redonnent foi en l’espèce humaine et renvoient au bestiaire tous les R'as-al-Ghul à poils longs qui veulent nous persuader que tout ira mieux après un bon génocide.

J’ai vécu la semaine dernière une expérience aussi touchante qu’édifiante. C’était le lendemain de la soirée des anciens de l’entreprise où je travaille. C’est marrant les soirées d’anciens. On alumnise, on vient observer l’adultitude qui se dépose sur nos rides respectives parfois respectées. On discute en penchant maladroitement la tête pour lire le badge d’Untel que l’on connaît mais dont on a oublié jusqu’aux données de base. Il y a ceux qui viennent et il y a ceux qui comptent. Ceux-là, naturellement, vous ne les verrez pas, c’est nous qu’on va les chercher pour les appeler cher ami et leur dire oui oui tout à fait on est en phase je te fais une propale ce soir pas de souci je comprends que tu sois obligé de faire un appel d’offres. C’est le festival des phrases creuses et des mots en –ing : networking, speed dating, zapping. Un bal de papillonnages et d’évitements courtois envers ceux qui grenouillent et cherchent un job, hop, trois petits fours et puis s’en vont. Ce millésime était pour moi spécial, car étant récemment revenu dans cette entreprise où j’ai commencé ma carrière, j’avais le statut appréciable d’ancien ancien. Un ancien carré en quelque sorte, mais sans la cote d’un mètre carré dans l’ancien.

Le lendemain de cette soirée aux figures plus imposées qu’imposantes, je déambulais entre deux bâtiments avec cet air occupé des gens réfugiés dans leurs pensées pour éviter de dire bonjour. Je dépasse une silhouette féminine, frêle et fumante, les volutes du café qu’elle tient à la main semblant s’échapper de ses cheveux. Alors que je la contourne, j’entends « Tiens, [mon prénom mon nom] ! Comment vas-tu ? Alors tu es revenu ?! ». Pétrification instantanée. Un éclair de honte me foudroie. Une fois retourné je suis retourné. Reconnaître quelqu’un au bout de vingt ans, ce n’est pas donné à tout le monde. Dans son cas, c’est spectaculaire. Elle est standardiste. Elle connaît tous les numéros de postes par cœur, des milliers. Lorsque, moussaillon, j’embarquai sur ce navire, nous étions deux mille, et par un prompt renfort du destin et de quelques acquisitions bien ficelées nous voici sept mille en arrivant au port de la croissance. Certes, à l’époque, le plateau de mon équipe jouxtait le standard, et l’on se croisait. Mais tout de même, combien de pompons de pimpins a-t-elle vu défiler ? Moi, simple moucheron sur le pare-brise du temps qui passe, elle m’a reconnu. Mes yeux ont eu besoin d’essuie-glaces.

Bien avant notre époque d’iMaturité, où parler à un être humain quand on contacte une entreprise est devenu un luxe, le standard était quasiment la seule interface vivante entre une organisation et le monde extérieur. Une vitrine de l’entreprise, disait-on. Force est de constater que la sienne a résisté au tsunami de serveurs vocaux. Elle pilote son cockpit d’une rafale de doigts sur le clavier, et vous passe n’importe quel poste en moins de quatre secondes (véridique). Elle a gagné la réputation d’avoir le meilleur standard à mille kilomètres à la ronde. Elle s’appelle Reine, je ne résiste pas à la facilité d’écrire qu’elle fait honneur à son prénom, et même qu’elle a la classe royale. Pour appeler Paris, passez par Reine, de grâce n’appuyez pas sur dièse, elle mérite quelques lignes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire